34144897-ddab-4367-a0f2-b575ddb920eb.jpgLe duc d’Orléans visitant les malades de l’Hôtel-Dieu pendant l’épidémie de choléra, en 1832, par Alfred Johannot, huile sur toile, musée Carnavalet.

Stupéfaction, inquiétude et enfin nous nous relevons ; comme des boxeurs sonnés par les coups d’un adversaire invisible !

Déstabilisés par le changement de rythme et bien que nous acceptions volontiers le confinement ; nous nous interrogeons sur le choix de la méthode : la « distanciation sociale ! ». Une interrogation non pas sur l’efficacité, mais simplement sur le fait que nous sommes lancés dans une course sans fin depuis la fin de la seconde guerre mondiale et qu’aucun évènement n’a pu stopper la machine auparavant et de façon aussi globale. Une interrogation sur le changement radical de paradigme de ce monde que l'on disait de plus en plus acquit au théories libérales et qui se met à dépenser sans compter pour sauver l'économie. Ce monde libéral, normalement très darwinien, qui en quelque sorte, saborde son économie pour sauver les plus faibles.

Alors, comment se sont résolus nos gouvernants et de façon aussi massive, à mettre à l’arrêt la machine ? La peur des pertes humaines, la conscience d’une responsabilité face à l’incapacité de nos systèmes de santé à gérer un afflux massif de malades, l’absence de solutions alternatives ou bien, consciemment ou inconsciemment ; l’intuition de l’urgence d’un RESET global. Un RESET, face à la surdité du monde : une surdité collective, des peuples et des gouvernants, devant l’urgence écologique, les crises migratoires, les emballements financiers sans contrôles, l’accroissement des conflits armés régionaux, les menaces terroristes intérieures et extérieures…

Quels profonds bouleversements dans nos sociétés à la fin de cette crise ? Nous rêvons de changements décisifs dans la gestion de la cité ; comme ceux qui ont accompagnés les grands moments de l’histoire de l’humanité : grandes pandémies, guerres mondiales, crises économiques… Bien que la distanciation sociale soit citée dans le Lévitique chapitre 13 ver. 46 : « C’est pourquoi il (le lépreux) habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp. », il aura fallu l’épidémie de Choléra de 18321 et ses 20 000 morts à Paris, pour que soit lancé les travaux de réhabilitations de Paris, la modernisation des égouts et l’amélioration des adductions d’eau par le préfet de la Seine ; le baron Haussmann.

Alors, que pourrions-nous espérer en 2020 ? Que voit-on ou espère-t-on apparaitre à travers la parole publique ? L’appel à une conscience du destin commun de l’humanité et j’en veux pour preuve l’article de Yuval Noah Harariii dans le Times repris par le Monde : « Pour vaincre une épidémie, il faut que les gens aient confiance dans les experts scientifiques, les citoyens dans les autorités publiques, et que les pays se fassent mutuellement confiance. Ces dernières années, des politiciens irresponsables ont délibérément sapé la confiance que l’on pouvait avoir en la science, envers les autorités publiques et dans la coopération internationale. En conséquence, nous faisons aujourd’hui face à cette crise sans leaders mondiaux susceptibles d’inspirer, d’organiser et de financer une réponse globale coordonnée. » Yuval Noah Harari dans un article du Monde « Le véritable antidote à l’épidémie n’est pas le repli, mais la coopération »

Il n’y a aucune autre solution, les traitements des épidémies impliquent la prise en charge de l’ensemble de la population mondiale, Afrique y compris, sans cela nous nous condamnons à revivre des crises cycliques incontrôlables. Et pour nous Européens, la conscience d’un destin commun passe primordialement par le renforcement de la structure politique Européenne. Nous devons nous donner les moyens d’avoir une voix unique face à nos partenaires ; une voix qui exprime une position concertée et décidée. Un compromis qui s’impose démocratiquement. Ainsi, nous pourrions décider que : l’autonomie en termes de santé, d’agroalimentaire, d’énergie, d’alimentation en eau, seront des domaines stratégiques qui devront d’abord être gérés en fonction de l’intérêt général avec un contrôle des états et de la Communauté Européenne. Il faudra ensuite veiller à ce que ces décisions communautaires soient appliquées aux niveaux des états pour les pays centralisateurs comme la France ou même des régions pour les pays fédéralistes comme l’Allemagne.

Et que les domaines de la solidarité sociale, de l’éducation et de l’emploi, devront comme la politique de sécurité et de défense, faire l’objet d’Accordsiii de politique commune, mutualisant les moyens et fixant des objectifs collectifs. Nous devons donc, en tant que citoyens, groupe associatifs, syndicalistes, militants politiques, agir et encourager fortement nos élus à une convergence vers ces objectifs.

Pourrions-nous voir en la position de Christine Lagarde, présidente de la BCE, une possibilité de convaincre nos partenaires du Nord de l’Europe, qu’une vision solidaire de la dépense n’est par forcement irresponsable et que mettre à genoux des partenaires est la meilleure voie vers le séparatisme et le conflit ? Pourrions-nous espérer que la nomination du Commissaire Thierry Breton, soit un premier pas vers un projet de relocalisation des productions stratégiques pour les citoyens européens ? Par ailleurs, l’importance de son portefeuille, marché intérieur, économie et numérique, industrie de la défense et espace, permet-il d’envisager le renforcement d’une industrie de défense européenne pour nous protéger des illusions de l’OTAN ?

Et plus récemment encore, pourrions-nous espérer en la nomination de Hubert Védrine au comité de réflexion sur l’avenir de l’OTAN, un renforcement du rôle de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et une politique réaliste face à la Russie, Turquie et grandes puissances asiatiques ?

Faire des moyens digitaux, biotechnologiques et de l’IA, les outils d’une conversion vertueuse socialement et écologiquement. Bien que nous développions des craintes face aux dérives possibles de la digitalisation, de l’intrusion des algorithmes dans notre quotidien et de l’usage de l’Intelligence Artificielle, il me semble plus opportun de construire avec ces outils un nouveau projet de société. Bien évidemment, beaucoup de zones d’ombres demeurent ; ce que nous deviendrons demain, y compris physiquement. Mais nous construire de nouveaux récits, me semble plus favorable à nourrir nos espérances et conserver une cohérence sociale.

Nous avons assisté à la fin des récits majoritaire (dogmes politiques et idéologiques) des siècles derniers. Mais dans certains esprits renaissent les désirs de vieux récits : radicalismes religieux ; parmi lesquels l’islamisme semble jouer un rôle de précurseur, populismes de tout poil : Trump aux Etats-Unis, Bolsonaro au Brésil et Duterte aux Philippines (pour ne citer que ces trois exemples). De réelles psychoses collectives capables de nous conduire vers les pires scenarii : Souvenez-vous de Kigali, de Srebrenica, de notre silence face à la situation des Hmongs au Laos, de la situation des minorités chrétiens en orient, des minorités musulmanes en Asie… Faute de produire ce nouveau récit, nous irons vers «Le naufrage des civilisations », un essai d’Amine Maalouf ou l’analyse rivalise parfois avec la prédiction !

De même, nous ignorons plus que jamais, quels seront les savoirs nécessaires pour accompagner les changements inéluctables sur le marché du travail. L’automatisation et la digitalisation vont avoir raison des métiers les moins qualifiés, mais nos sociétés généreront de nouveaux besoins et de nouvelles qualifications. Nous devons donc devenir des nations apprenantes et sécuriser les parcours de nos citoyens en protégeant notre modèle social. Il devient donc indispensable, de réunir les conditions de confiance et de collaboration entre le monde de la recherche, de l’entreprise et de l’enseignement en consolidant l’offre de formation continue. Un chemin que nous ne pouvons envisager en reconsidérant ces budgets comme des investissements et non des dépenses. Construire le modèle éducatif du 21ème siècle est un enjeu de long terme qui ne peux être un élément de batailles électoralistes. La construction de ce modèle implique la constance, avec des évaluations de son efficacité et des adaptations le cas échéant ; mais surtout de la constance.

Car en plus, de l’enjeu de l’adaptation de nos populations face aux mutations technologiques, s’ajoute la question migratoire. Le changement climatique, la démographie de l’Afrique, les conflits au Moyen Orient, finiront par créer des tensions que nous ne pourrons gérer. Il faudra, inéluctablement, choisir entre « le intérêts » des peuples européens et une morale humaniste. Dans son ouvrage « La ruée des migrants vers l’Europe », Stephen Smith fait un constat sans dogmatisme et annonce une réalité mathématique que nous devrons anticiper et gérer avant de nous faire déborder par nos peurs et nos extrêmes.

..... Notes. Pour découvrir « L’invention de Paris », je vous invite à lire l’excellent ouvrage du même titre de Eric Hazan aux éditions Point. Ou plus illustré, « Les plans de Paris – Histoire d’une Capitale » de Pierre Pinon et Bernard Le Boudec aux éditions Le Passage. ii Le professeur Yuval Noah Harari est l’auteur des bestsellers « Sapiens, une brève histoire de l’humanité », « Homo Deus », « une brève histoire de l’avenir et 21 leçons pour le XXIe siècle ». iii Pour découvrir et comprendre nos institutions Européennes, je vous propose de découvrir la 5ème édition de L'Union européenne : Institutions et politiques de Marion Gaillard aux éditions de la documentation française. Nous avons choisi cet ouvrage pour sa présentation pédagogique simple et objective pour la compréhension de tout public.