Ce document est une synthèse non exhaustive des présentations et des débats. Seul le prononcé fait foi.

Introduction - Bruno Bréchet

Lors de son audition par le Parlement européen, Josep Borrell, Haut représentant de l'Union pour la politique étrangère et la politique de sécurité, a déclaré que « L'UE doit apprendre à utiliser le langage du pouvoir ».

L’Europe se dote des moyens de son ambition avec le plan de relance « Next Generation EU » de 750 milliards €, et les 1 074 milliards du Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027, dont 30% consacrés à l’écologie.

Mais sommes-nous suffisamment armés face à la puissance de nos grands concurrents américains et chinois ?

Quel sera l’impact sur l’Europe de l’élection de Joe Biden ?

Enfin, l’Europe a montré son impuissance à résoudre les conflits comme celui entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et à apaiser les tensions avec la Turquie.

Que manque-t-il à l’Europe pour affirmer son leadership ?

Allons-nous vers une souveraineté de l’Europe dans ce nouveau contexte géopolitique ?

Pieyre-Alexandre Anglade

En 2020, l’ordre international a été sérieusement ébranlé. Cette dynamique a commencé dès janvier 2020 avec l’assassinat du Général iranien Soleimani qui était particulièrement influent en Irak.

Cela s’est poursuivi par la crise de la covid-19 dont les conséquences économiques et sociales ont été très lourdes, tant pour les entreprises que pour les personnes, et on constate aujourd’hui une augmentation de la pauvreté dans le monde.

La crise sanitaire a également eu des retombées géopolitiques importantes avec le retrait des Etats-Unis de l’OMS en pleine pandémie : cette décision fait écho aux nombreux coups déjà portés par l’administration Trump au multilatéralisme.

L’élection de Joe Biden et de Kamala Harris à la tête des Etats-Unis change beaucoup de choses, notamment pour la question iranienne et la lutte contre le réchauffement climatique (l’administration Trump était sortie de l’accord de Paris, Joe Biden a fait de son retour dans cet accord l’une des premières actions de son mandat).

Mon grand espoir, avec la nomination de John Kerry (au poste d’Envoyé présidentiel spécial des États-Unis pour le climat), serait d'avoir une action résolue dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.

Dans ce domaine, l’Europe est à la pointe avec la volonté, actée par ses institutions et Etats membres, de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. La Chine s'engage aussi dans cette voie ce qui est encourageant. Néanmoins, sans les États-Unis, nos efforts n’avaient pas la même dimension.

2020 aura été une année difficile pour l'Europe qui a été victime du terrorisme islamiste avec l'assassinat de Samuel Paty en France et les attentats en Autriche. A cet égard, la campagne et le déferlement de haine au Proche-Orient contre la France et son Président reposent en partie sur la mauvaise compréhension de notre laïcité par les pays arabo-musulmans, anglo-saxons et leurs grands médias.

Dans le domaine militaire, nous avons connu une guerre dure dans le Haut Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et des relations très difficiles avec la Turquie qui, par ses actions envers Chypre, la Grèce et également contre la France, menace la sécurité de l'ensemble méditerranéen.

Dans ce contexte, nous avons également tous une pensée pour nos amis libanais dont la situation a été durablement aggravée par les explosions de Beyrouth. A cet égard, la France a rapidement pris des mesures pour soutenir l’acheminement d’aides vers le Liban.

Enfin, le Brexit constitue un défi majeur pour l'Europe et fragilise l’ordre international. Le point positif est que l'Europe a tenu bon malgré cela, et a avancé comme jamais avec la mise en place du plan de relance et la coopération sanitaire transfrontalière.

Plus récemment, la capacité des Européens à négocier ensemble l'acquisition des vaccins contre la covid (grâce notamment à la France qui a initié une task force européenne dès le mois de mai) a permis de sécuriser nos approvisionnements.

Réponses aux questions

Elections de Joe Biden – Défense européenne - Porte-avion nucléaire

Donald Trump a été, depuis 4 ans, le meilleur promoteur de l'Union européenne. Son nationalisme exacerbé, sa volonté de remettre en cause le multilatéralisme et de se détourner des organisations internationales, ainsi que ses critiques vis-à-vis de l’OTAN ont renforcé la détermination des européens à travailler ensemble.

L'Europe s'est bien rendu compte que l'environnement immédiat devenait incertain, notamment au Proche-Orient avec les attaques terroristes, mais aussi avec l'affirmation de plusieurs puissances autoritaires comme la Russie et la Turquie (qui a adopté une position plus belliqueuse que par le passé, et a tenté de déstabiliser des états riverains de la Méditerranée).

De plus, la Chine a une politique expansionniste en Europe. Elle a notamment cherché à acheter de grandes entreprises européennes après la crise de 2008, et poursuit aujourd’hui son ambitieuse initiative relative aux nouvelles routes de la soie.

Face à cela, les Européens n’ont jamais autant avancé en matière de défense et de coopération industrielle avec en particulier les Forces Spéciales en Afrique (avec la consolidation de la task force Takuba au Mali ) et le Fonds Européen de Défense .

Cette avancée résulte justement de l’ébranlement de l’ordre international ainsi que du comportement de Donald Trump (qui a fait peser des doutes quant à l’engagement américain au sein de l'OTAN). Le contexte géopolitique dans lequel nous nous trouvons et la crise sanitaire soulignent l'absolue nécessité de renforcer notre souveraineté et notre indépendance.

Le mouvement enclenché depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron semble irréversible. L'élection de Joe Biden n'empêchera pas l'Europe d'être une puissance économique et industrielle pleinement souveraine, qui collabore avec les États-Unis dans le cadre d'une coopération multilatérale. Il est fondamental de travailler avec eux pour la lutte contre le changement climatique et le respect de l'accord sur le nucléaire iranien.

On peut s’appuyer sur la souveraineté européenne qui fait maintenant consensus, et qui n'existait pas il y a trois ans, pour coopérer avec les Etats-Unis qui sont nos alliés historiques. Dans ce cadre, l'Europe de la défense ne se fait pas en concurrence avec l’OTAN, mais en complémentarité.

Avec le départ des Britanniques, la France devient la seule puissance nucléaire du continent européen et le seul membre européen du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Elle est présente partout dans le monde, y compris dans les zones de conflits majeurs. Cela nous donne une responsabilité supplémentaire vis-à-vis de tous. Envisager de mettre à disposition des autres Etats européens la force nucléaire française reste toutefois prématuré.

Le financement européen du nouveau porte-avion nucléaire français n'est pas à l'ordre du jour. D'autres coopérations européennes en matière de défense sont en cours, comme celle de l'avion du futur (SCAF- Système de Combat Aérien du Futur) essentiellement entre les armées de l'air française et allemande.

Réponses aux questions ** Déséquilibre France /Allemagne – Vision de la souveraineté – Réforme institutionnelle.**

S’agissant du déséquilibre en Europe, le Royaume Uni était jusqu’à présent un contrepoids très fort à l'Allemagne. Son retrait ne nous a cependant pas empêché de prendre des réformes. Ainsi, depuis 3 ans et demi, nous avons réalisé un nombre significatif de progrès tant à l’échelle européenne qu’à l’échelle nationale.

La France est devenue le pays d'Europe le plus attractif pour les investissements étrangers, et nous avons recréé des emplois industriels comme cela ne s'est jamais vu depuis 10 ans dans notre pays. Le chômage, qui était élevé à notre arrivée au pouvoir, a progressivement diminué vers notre objectif de 7 % (atteignant, avant la crise, son taux le plus bas depuis dix ans).

La crise de la covid-19 rebat les cartes et les pays européens sont mis au défi. Les centaines de milliards investis en France pour soutenir nos entreprises et nos concitoyens sont fondamentaux pour éviter la destruction d'emplois. Pour rappel, cette méthode avait permis à l'Allemagne de sortir très rapidement de la crise de 2009 (Mesures de chômage partiel - Kurtzarbeit).

Notre tissu industriel doit être prêt au redémarrage. A la sortie du premier confinement, l'économie française est repartie rapidement. Le plan de relance de 100 milliards d'euros nous permettra de préparer l'avenir et les emplois de demain, en menant la transition écologique.

Ma conviction est que les pays qui se sortiront au mieux de la crise sont ceux qui en auront profité pour transformer leur économie en la décarbonant durablement et en la digitalisant.

La perception de souveraineté diverge d'un pays à l'autre. J’en considère cinq :

  • La souveraineté européenne politique : nous avons été capables de nous rassembler autour de notre capacité à décider pour nous-même.
  • La souveraineté économique : elle a été atteinte avec le plan de relance européen de 750 milliards euros qui constitue une initiative politique refondatrice de l’UE à l’initiative du couple franco-allemand, et historique par l'émission d'une dette européenne commune.
  • La souveraineté industrielle européenne : nous devons la protéger, sans naïveté mais sans tomber dans une démarche protectionniste.
  • La souveraineté environnementale : elle fait consensus, même chez nos amis polonais.
  • La souveraineté stratégique : elle se manifeste dans la volonté d’une défense commune.

Ces cinq éléments sont constitutifs de la souveraineté européenne qui n'est pas un effacement de la souveraineté nationale.

Repenser les institutions de l'Europe est fondamental. Si l’Europe veut assurer un leadership mondial, elle doit affronter un certain nombre de contradictions et de difficultés de fonctionnement qui l'ont rendue inaudible ou marginale sur des enjeux mondiaux comme la diplomatie.

Pour construire une Union plus efficace il faut, comme le Président de la République l'a proposé, mettre en place une conférence sur l'avenir de l'Europe le plus rapidement possible avec un objectif simple : proposer un contrat de refondation de notre architecture institutionnelle pour l'adapter au 21ème siècle qui nécessite de la flexibilité, contrairement aux règles actuelles qui imposent des décisions à l'unanimité (comme pour les questions fiscales et les affaires étrangères).

Il faut mener une réflexion sur l'organisation politique et notre capacité à avancer ensemble. Je suis très attaché à l'unité des 27 qui est fondamentale et nous a permis de tenir ensemble face au BREXIT. Cependant, unité ne signifie pas uniformité. L'Europe a toujours avancé grâce à un petit groupe d'États moteurs, comme on l'a vu avec le plan de relance européen.

Réponse aux questions

Allemagne/Turquie - Consultations citoyennes

Sur le rapport de la Turquie à l'Allemagne, il faut tout d'abord replacer dans son contexte l'action de la Turquie. Ce pays accéléré sa fuite en avant sur le pourtour méditerranéen, en faisant fi du droit international et des bonnes pratiques de coopérations avec ses alliés européens, notamment au sein de l'OTAN.

Ces faits sont inacceptables et les Européens, la France en tête, ont eu raison de les dénoncer en condamnant la Turquie. Pour l'avoir fait, la France a été victime de la part du Président turc d'une campagne de haine et de déstabilisation extrêmement virulente, orchestrée sur les réseaux sociaux et diplomatiquement.

Au lieu de nous diviser, ces outrances ont permis aux pays européens de prendre conscience de la dérive du président Erdogan et de son administration, et à l'Allemagne d'avancer et de s'aligner sur la position européenne. L'Union européenne a ainsi pris une première série de sanctions, et d'autres sanctions pourraient être adoptées lors du Conseil européen de mars 2021 si la Turquie ne change pas de comportement.

La conférence sur l’avenir de l'Europe est essentielle pour mieux associer les citoyens aux processus de décision. J'avais notamment proposé de lancer en France un projet de consultation citoyenne à l’image de la Convention citoyenne pour le climat qui représente une initiative démocratique inédite. Cela permettrait de nourrir les consultations sur l'avenir de l'Europe et de préparer la présidence française de l'Union européenne du premier trimestre 2022.

L'association des citoyens européens à la conférence sur l’avenir de l’Europe est indispensable pour repenser nos objectifs et pour que le plus de citoyens possible s’investissent dans les questions européennes (qui restent parfois trop confidentielles ou élitistes).

Bruno Bréchet, cocoordinateur Europe La République En Marche Paris 16

le 30 décembre 2020